Elle peignait depuis des heures, perdue dans un monde de rêves et assise sur son vieux tabouret de brocante. Un petit pinceau trempait dans la boîte de peinture bleu ciel, ou plutôt azur, sa couleur préférée. Elle avait lu, un jour, que le terrible Homme de guerre Gengis-Khan, après chaque bataille, s’en allait tout seul, sur son cheval, chercher une hauteur tranquille pour prier son Dieu préféré : le Grand Ciel Bleu ! Depuis lors elle regardait le Ciel et sa profondeur comme un mystère magique de l’Univers.
C’était une petite chaise rustique en bois idéale pour la terrasse, le jardin, ou la plage. Ainsi peinte, elle lui faisait penser aux longues plages de Biarritz, à la Côte Basque et aux phares bleu et blanc des Côtes Nordiques. Les petites tablettes en bois du siège et du dossier étaient peintes en blanc, bleu marine et bleu ciel, la couleur retro des années trente. Les pieds en fer, moches comme tout, redevenaient jolis et élégants sous les coups de pinceau.
Elle avait mal aux poignets tout gonflés et très mal au dos, Alors elle se leva, se fit un petit café et décida d’aller à la plage. Elle enfila ses ballerines roses et descendit dans la rue ensoleillée en tirant la petite chaise bleue par le dossier. La rue n’était pas pavée mais très poussiéreuse avec des cailloux blancs.
«Tiens, tous ces cailloux ? Jamais remarqués »
Il n’y avait personne et la voilà installée pas loin du rivage. Quel magnifique silence ! Le soleil faisait briller ses cheveux blancs. Elle sortit son appareil photos qui ne la quittait jamais, ses lunettes de soleil et le Home-Informations. Elle mit ses lunettes de vue mais n’arrivait pas à lire… Bizarre ! Les goélands s’en donnaient à cœur-joie. Les vaguelettes arrivaient en douceur et au loin on distinguait les murs jaunes et bleus d’une guinguette à glaces. Une musique mexicaine jouait « Despacito ». Elle en aurait presque pleuré de bonheur. Il n’y avait toujours personne sinon elle aurait été chercher un « mojito » bien frais.
Le temps passa et soudain le téléphone la fit sursauter. Elle tendit le bras gauche et le porta à son oreille instinctivement.
« Tu fais quoi ? dit la voix angoissée de sa petite sœur.
« Je suis à la plage »
« Mais il n’y a pas de plage à Meyrin ! J’arrive chez toi dans cinq minutes »
Plus tard elles buvaient le café à la cuisine et la petite sœur regardait son aînée avec méfiance. « Pourquoi tu as tout ce sable dans les ballerines ? »
« C’est normal, j’étais à la plage et tu sais bien que depuis l’accident de voiture, je ne peux plus marcher pieds nus. J’angoisse à l’idée que la terre m’engloutisse. »
« Je sais… et ces jolis coquillages ? »
« Je viens de les ramasser. Prends-les, ils sentent bon la mer »
La petite sœur ne savait plus quoi dire mais elle avait un petit air paniqué
« Tu es sûre que tu vas bien ? »
A ce moment-là, un goéland vola en criant tout près de la verrière.
« Tu vois bien, la mer n’est pas loin. »
